Patrick Cohen – David Fitouchi – Actuaires IA
Que suis-je prêt à perdre pour obtenir ce que j’espère ? C’est par cette simple question que pourrait être définie la notion d’appétence aux risques ; notion de plus en plus utilisée et devenue centrale depuis l’entrée en vigueur de Solvabilité 2.
En effet, l’appétence aux risques n’est rien d’autre que l’acceptation d’une mise en danger afin de réaliser un objectif. Toutefois, cette notion reste encore difficile à appréhender pour plusieurs raisons. La première raison repose sur le fait que la notion d’appétence aux risques n’est pas forcément intuitive. Le terme d’appétence renvoie à une idée de prise de risque qui peut paraître, pour certains, contradictoire avec l’activité d’assurance. En effet, la volonté de s’assurer est souvent associée au désir de se couvrir contre un danger en oubliant qu’il s’agit avant tout d’un transfert de risques de la part de l’assuré vers l’assureur. Ainsi, il existe par nature une prise de risque liée à l’assuré et donc, a fortiori, à l’activité d’un organisme d’assurance. Par ailleurs, la notion d’appétence renvoie pour beaucoup à une idée de plaisir, comme s’il s’agissait d’une volonté de prendre des risques afin de combler une envie. Or, ce n’est pas sous cette notion « d’envie » qu’il faut interpréter l’appétence. En effet, ce serait oublier qu’avoir de l’appétit signifie également devoir satisfaire un besoin. C’est sous cette seconde lecture qu’il faut comprendre la notion introduite par Solvabilité 2. Elle ne signifie pas « rechercher une prise de risque à tout prix » mais, « accepter une prise de risque dans le but d’atteindre un objectif précis ». Ce concept d’acceptation de prise de risque (dans le but d’atteindre un objectif) se retrouve dans des situations anodines du quotidien comme courir et traverser au feu rouge pour ne pas rater son bus et arriver à l’heure à son rendez-vous. En effet, lorsqu’une personne se presse et traverse alors que cela lui est interdit, elle prend un risque. Ce risque sera ou non accepté en fonction de ce que le rendez-vous peut effectivement apporter. Autrement dit, la personne mesure alors le risque pris en fonction du gain potentiel dont elle pourrait en tirer pour prendre sa décision. Ainsi, pour se prononcer sur l’acceptation ou non d’une prise de risque supplémentaire, il faut pouvoir disposer d’instrument de mesure. Pour un organisme d’assurance, il faut bien entendu s’assurer que le niveau de prise de risque fait bien l’objet d’un consensus entre les membres du Conseil d’Administration, les actionnaires et la Direction Générale. Il est également nécessaire que l’expression de la prise de risque acceptée ; l’appétence aux risques ; soit communiquée aux différentes fonctions clés afin de donner un cadre à leurs travaux, à leur avis et à leurs alertes potentielles. La question est alors de savoir comment formaliser cette appétence. La difficulté réside principalement dans le fait qu’il n’existe pas de mesure « règlementaire » contrairement, par exemple, au SCR qui représente le risque de faillite avec une probabilité de 0.5% à horizon 1 an. Accepter un risque supplémentaire étant un choix (stratégique) d’entreprise, il n’existe pas de définition générale permettant une mesure commune, conventionnelle et standardisée de l’appétence aux risques. Les choix des indicateurs de risque doivent être effectués de manière à rendre l’appétence aux risques la plus compréhensive possible pour l’organe d’administration, de gestion ou de contrôle (AMSB) et la plus utilisable et mesurable pour les fonctions clés. Le véritable défi du choix de la métrique est précisément de faire de l’appétence aux risques un véritable outil de décision et d’alerte pour la gouvernance de l’entreprise. Autrement dit, il faudrait que la mesure (métrique) choisie permette une réflexion réelle sur les choix à venir.
Notre approche et le fruit de nos travaux nous ont montré qu’une Value at Risk à 10% à horizon 1 an pourrait être utilisée du fait qu’il renvoie à un risque décennal ; un risque à une échelle plus « humaine » et parlante. Par exemple, nous avons pu remarquer que les appétences prononcées de la manière suivante pouvaient être les plus compréhensibles et utilisables : « Sur l’année à venir, l’organisme accepte de prendre un risque pouvant entraîner une perte de 5000 k€ avec une chance sur 10. Autrement dit, l’organisme souhaite limiter la perte potentielle du ratio de solvabilité de 50 points dans 90% des cas. »
A une perte maximale acceptée par un organisme à la vue du développement futur de son activité est ainsi également associée une appétence en termes de ratio de couverture (d’autres indicateurs pourraient également être utilisés : ratio P/C, résultat technique, …).
Une fois ce montant d’appétence global déterminé, reste alors la question de la déclinaison. Ce dernier aspect est très certainement celui qui pose le plus de difficultés aux organismes. Pourquoi ? Car il n’est pas ici question d’allocation d’un montant de capital entre des filiales ou des pays mais, d’une allocation entre des risques. L’enjeu est alors double : Il faut tout d’abord déterminer une méthode d’allocation qui permette de disposer de niveaux de tolérance pour chacun des risques de l’organisme puis, communiquer ensuite ces dernières aux équipes. Ces dernières pourront alors se fixer des limites opérationnelles qui leurs permettent de respecter ces niveaux de tolérance et donc l’appétence de l’organisme. A ce jour, il n’existe pas de méthode prédominante en matière de déclinaison. Comme pour la définition de l’appétence d’une certaine manière, chacun est libre d’effectuer l’allocation entre les risques selon sa volonté propre (privilégier un bénéfice de diversification, une recherche de résultat financier, un volume d’affaires cible, etc.). Cependant, la difficulté ne réside pas tant sur le fait de trouver une méthode d’allocation mais plutôt sur la formalisation d’une déclinaison qui puisse influencer aisément les politiques écrites. Toutefois, ce problème pourrait être résolu en « inversant l’ordre de la chaine » et en formalisant la politique écrite en fonction du niveau de tolérance déterminé. La communication de l’appétence constitue le point d’orgue de cette mise en œuvre. En effet, elle est nécessaire au bon fonctionnement des travaux de tous et ce quel que soit leur position. Comment le responsable de la fonction clé actuariat peut-il donner son avis sur la politique de réassurance de l’organismes si l’appétence n’a pas été communiquée ? Afin de faciliter cet exercice de pédagogie, il apparaît crucial de traiter de l’appétence au même moment que la stratégie. Cette dernière est encore bien trop négligée au profit d’un raisonnement seulement comptable.
Dans un contexte de mondialisation dans lequel des harmonisations globales sur les normes de solvabilité sont en construction, il apparaît capital de ne pas négliger la réflexion économique et statistique. Il est alors du ressort de l’actuaire de faire en sorte que les organismes comprennent l’importance d’avoir un raisonnement partagé afin de ne pas considérer les exigences réglementaires comme des contraintes mais comme de réels outils de pilotage.
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