Contrairement à la plupart de mes collègues français, mon mois d’avril à Annapurna n’a pas été mouvementé par les piliers 1 et 3 de Solvabilité 2 ! En effet, la directive n’est pour le moment qu’européenne, et l’organisation Annapurna, en tant que micro-assurance, n’est pas soumise à la réglementation de l’IRDA (ACPR indienne). Nos chers QRT mettront donc encore quelques années à traverser les frontières de notre continent !
Cependant, l’actualité assurantielle en Inde s’est trouvée chamboulée durant ces dernières semaines.
La sécurité sociale en Inde
En tant que pays en voie de développement, l’Inde ne possède à ce jour aucune couverture sociale gratuite et accessible par tous. Le pays a mis en place une protection sociale couvrant certains risques comme l’invalidité, le décès, la maladie et le chômage. Cependant, ce régime n’est pas universel et ne prévoit qu’une couverture limitée qui s’adresse exclusivement aux travailleurs du secteur organisé, représentant moins de 10 % de la population.
Les populations les plus pauvres, étant paradoxalement celles nécessitant le plus de soins médicaux, n’ont donc aucune aide de l’Etat, et ne peuvent se permettre de souscrire à une assurance commerciale. Les populations défavorisées représentant notre portefeuille d’assurés, j’ai eu l’occasion d’e découvrir leur quotidien. J’ai ainsi compris qu’afin de régler leurs factures d’hospitalisation, les familles les plus démunies ont besoin d’emprunter une avance à leurs amis ou familles (les banques refusant de leur octroyer des emprunts), ou encore de vendre leurs objets, terres ou animaux.
Grâce à Annapurna, les membres adhérents ainsi que toutes leurs familles perçoivent le remboursement total ou partiel de leurs frais de santé, tout en payant une contribution abordable. De plus deux médecins sont disponibles 24h/24 afin de guider les assurés vers le centre de soins le plus adapté à leur besoin, et leur fournit également un deuxième avis médical parfois nécessaire pour éviter les erreurs volontaires de diagnostic.
Une sécurité sociale inspirée du système français serait donc une aubaine pour tous les indiens, aussi bien riches que pauvres, et le gouvernement indien nous en a donné l’espoir !
L’actualité assurantielle en Inde
Au cours du mois de février 2018, le Premier Ministre indien, Narendra Modi a annoncé à la population indienne l’introduction d’une couverture santé universelle, dont la somme assurée atteindrait 500 000 roupies (environ 6250€) par an et par famille. Quelle agréable surprise avons-nous eu en découvrant ce projet dans le budget du gouvernement indien !
Celle-ci fut cependant nuancée par les doutes s’y afférant. En effet, les informations sont encore très approximatives, et nombreux sont ceux qui mettent en doute la suffisance des fonds dans les caisses de l’Etat.
Parallèlement, au cours du mois de mars, Annapurna a été invitée à participer à une conférence prenant place à Delhi regroupant plusieurs micro-assurances et dont le sujet était «Micro-insurance : what works and what does not » . J’ai eu la chance d’y assister, et ainsi de rencontrer plusieurs micro-assurances venant de tout le pays, réalisant des actions similaires à celles réalisées au sein d’Annapurna.
Le projet de Modi ayant été annoncé quelques semaines plus tôt, le sujet était à l’honneur. De nombreuses interrogations et doutes se posaient, le gouvernement n’ayant donné aucun détail permettant de vérifier la crédibilité de la couverture. Après plusieurs heures de discussion, la question proéminente était : « La couverture proposée par la gouvernement va-t-elle attirer nos membres, qui quitteraient les mutuelles pour se tourner vers l’Etat ? ».
Ce risque est présent, en effet, l’offre de l’Etat est attrayante, et nombreux sont ceux qui font confiance au gouvernement. Plusieurs des micro-assurances ont avoué leur inquiétude, avec une réserve néanmoins concernant la réalisation du projet.
Cependant, plusieurs arguments démontrent que cette couverture ne devrait pas mettre en péril les activités de micro-assurance.
Tout d’abord, le gouvernement propose de prendre en charge une partie de la prime. Ce principe bien connu des européens est pourtant incompris des populations pauvres. C’est pourquoi nous pensons que nos assurés ne comprendraient pas un tel fonctionnement, et ne réaliseraient donc pas la couverture proposée. Par ailleurs, les informations du gouvernement parviennent difficilement jusqu’aux habitants des bidonvilles qui ne connaissent souvent pas leurs droits.
De plus, bien que la proposition du gouvernement semble attirante, celle-ci cache en réalité quelques défauts, prouvant que le projet n’est pas parfaitement adapté aux populations les plus pauvres. En effet, la somme assurée de 500 000 roupies pourrait être utilisée uniquement pour certains traitements, tels que le cancer, la greffe de cœur ou encore le diabète. Cependant, les populations pauvres ne meurent pas de cancer, mais parce qu’elles ne possèdent pas 5 000 roupies d’épargne leur permettant d’acheter un traitement contre la malaria. C’est en comprenant cette réalité que se révèle un manque profond d’accès aux soins les plus basiques pour les populations les plus pauvres.
Les participants de la conférence ne se sont pas contentés de critiquer la proposition du gouvernement, mais ils ont aussi essayé de déterminer par quel moyen nous pourrions tirer profit de ce système de santé, à l’avantage des populations les plus pauvres.
La première action a été d’écrire au gouvernement, afin de les alarmer sur le besoin urgent des populations les plus démunies, et sur l’inadéquation du système proposé.
La deuxième proposition susceptible d’émaner de ce groupe de travail serait de proposer au gouvernement de travailler ensemble : en effet, l’Etat possède les fonds, et les micro-assurances possèdent la connaissance. Une association pourrait donc être plus que bénéfique : les organisations assureraient le relai des informations, ainsi que les explications et l’éducation, tandis que l’Etat financerait leurs actions. L’espoir se porte donc maintenant sur les futures actions du gouvernement, affaire à suivre !
Annapurna au-delà du Maharashtra
Annapurna Pariwar est présente dans les bidonvilles de Pune et Bombay et réunit actuellement près de 300 000 membres, couverts par les assurances que nous proposons.
L’ambition de Medha Tai, présidente d’Annapurna, a toujours été de pouvoir proposer cette couverture à une plus population plus étendue. En effet, la fondation de cette organisation lui a prouvé qu’offrir une couverture santé aux populations les plus pauvres à moindre coût était possible. Ce rêve est sur le point de se réaliser !
En effet, au cours du mois de mars, MAVIM, un groupe gouvernemental dédié aux plus pauvres, est venu à la rencontre d’Annapurna, afin d’en savoir plus sur notre produit de couverture santé. Conquis par le fonctionnement mutualiste, et la satisfaction des membres, MAVIM a proposé à Annapurna de développer un produit santé similaire pour leurs membres. Et cela représente du monde ! MAVIM possède en effet 1 million de membres, dans tout le Maharashtra.
J’ai ainsi eu l’occasion de rencontrer la dirigeante de MAVIM, avec qui nous avons discuté
du plan d’action, et du budget prévisionnel. Le projet durera deux ans, durant lequel Annapurna enseignera à MAVIM toutes les connaissances relatives à l’assurance.
Dans un premier temps, nous réaliserons un questionnaire nous permettant de connaître les besoins de la population. 20 000 questionnaires seront ainsi remplis par les membres adhérents de MAVIM, puis analysés par Annapurna afin de designer un produit adapté à la population.
Ensuite, plusieurs séances d’entraînement auront lieu, durant lesquels les employés d’Annapurna enseigneront aux employés de MAVIM le fonctionnement du système d’assurance, la communication des produits, la méthode de conviction mettant en avant la mutualité, puis les moyens de collecte de contributions, de règlements de sinistres, … en résumé le fonctionnement de A à Z d’une micro-assurance.
En tant qu’organisation non commerciale, Annapurna ne tirera aucune profit de cette association, seulement la fierté et le plaisir d’être la source d’amélioration de qualité de vie des plus pauvres.
Nous avons à ce jour produit le questionnaire et réalisé un jour de formation, afin d’enseigner les bases de l’assurance. Puis, au cours du mois de mai les 20 000 questionnaires seront remplis et encodés. En juin nous pourrons analyser ces données et proposer un produit sur mesure.
Participer à ce projet est une mission très enrichissante pour moi : non seulement je me sens utile en mettant mes connaissances actuarielles à profit, mais j’ai également l’occasion de découvrir la naissance d’un produit santé !
Le questionnaire a également chamboulé mes références françaises : alors qu’en France, la réalisation de ce type de projet poserait des questions telles que « Combien de fois allez-vous chez le dentiste par an », ou encore « Combien de paires de lunettes souhaiteriez-vous par an », ici les questions sont « Quel était l’état de santé de la mère après l’accouchement ? Bon, mauvais ou décès », ou encore « Par quel moyen avez-vous réglez votre dernière hospitalisation ? Épargne, or, emprunt à votre famille/amis, vente d’objets ? ». Ca fait relativiser !
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